Exemples de Unes et d'articles sur la réforme des retraites parus entre le 4 février et le 18 mars 2023.

Exemples de Unes et d'articles sur la réforme des retraites parus entre le 14 février et le 18 mars 2023.

© Crédits photo : Captures d'écran Le Parisien / La Dépêche du Midi / Le Figaro / Libération

« Même un titre de presse qui soutient la réforme ne va pas à l’encontre du public »

Des chercheurs de l’université de Toulouse ont passé au crible les discours sur la réforme des retraites parus dans la presse et sur les réseaux sociaux, entre janvier et mars 2023. Nikos Smyrnaios nous livre les principales conclusions de cette étude.

Temps de lecture : 5 min

L’Observatoire des pratiques socio-numériques et le Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (Lerass) publient ce 13 avril avril un rapport de recherche sur les discours autour de la réforme des retraites dans la presse et sur les réseaux sociaux. L’étude réalisée par Nikos Smyrnaios, Brigitte Sebbah et Jules Dilé-Toustou s’appuie sur une analyse lexicométrique de 8 049 articles publiés par les principaux quotidiens nationaux (Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Opinion, Les Échos, L’Humanité, Le Parisien) et quelques quotidiens régionaux (La Dépêche du Midi, Le Progrès, Le Télégramme, L’Est Républicain), du 1er janvier au 31 mars. Nikos Smyrnaios nous restitue leurs conclusions.

La réforme des retraites, et l'opposition qu'elle suscite, occupent une grande place dans les médias depuis près de trois mois : est-ce inédit pour un mouvement social ?

En 2018, les « gilets jaunes » ont également été très présents dans l’actualité, mais sur une période plus longue et avec des variations dans l’intensité de la couverture médiatique. Les discussions dans la presse autour de la réforme des retraites deviennent significatives au début du mois janvier 2023. Mais depuis le 19 janvier, jour de la première manifestation contre la réforme des retraites, la mobilisation a été l’un des sujets les plus traités au cours des deux mois suivants. En mars, la question des retraites a représenté 20 % des articles de presse, avec une moyenne quotidienne de 1 500 contenus relatifs au sujet pendant trois mois. 

Le mouvement social s’inscrit de lui-même dans le débat au moyen de ses journées d’action, qui lui permettent de se maintenir en tant que sujet d’actualité dans la durée. Sans cela, tant qu’il n’y pas d’annonces d’Emmanuel Macron ou du gouvernement, le sujet à tendance à sortir de l’agenda, comme nous avons pu le constater en février lors des vacances scolaires parisiennes [du samedi 18 février au lundi 6 mars 2023, NDLR]. Et la reprise des actions syndicales le 6 mars a conduit à relancer la couverture médiatique tout en exerçant une pression sur le gouvernement. 

Comment la presse a-t-elle, dans son ensemble, traité ce sujet ? 

Nous observons trois grandes familles de traitement : le jeu politique et institutionnel représente 40% des articles, avec comme sujet central Emmanuel Macron ; les enjeux socio-économiques (le système des retraites, la dette, avec le prisme de l’Union européenne) compte pour un tiers de l'ensemble ; et enfin les manifestations (sur le terrain, au plus près des acteurs qui se mobilisent contre la réforme) font l'objet d'un quart.

Nous relevons d’abord un clivage politique entre la presse quotidienne nationale de droite (Le Figaro, L’Opinion) et de gauche (Libération, L’Humanité). La première traite la réforme avec une approche macro-économique, en reprenant les justifications et les arguments du gouvernement. Elle verse également dans une micro-politique un peu caricaturale, avec des discussions rapportées entre ministres, des échos des réunions de Macron avec ses conseillers lors de petits-déjeuners et autres off. La presse de gauche effectue un traitement plus important sur le plan du rapport des individus au travail dans un cadre néo-libéral.

« Les articles politiques de la presse parisienne ont été peu mentionnés sur les réseaux sociaux »

On remarque également que les articles politiques de la presse parisienne ont été peu mentionnés sur les réseaux sociaux, en raison de leur décalage avec les sujets de préoccupation des citoyens sur l’ensemble du territoire.

La presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale couvrent-elles cette actualité de la même façon ?

Non, et c’est le deuxième clivage que nous identifions. Là où la presse nationale va couvrir des enjeux politico-économiques, avec davantage d’articles sur Emmanuel Macron, la presse régionale (comme La Dépêche du Midi, Le Progrès, Le Télégramme, L’Est Républicain…) va privilégier des sujets proches de l’expérience de la population. Elle a tendance à donner plus de place aux témoignages, aux difficultés rencontrées dans le monde du travail, à la précarité, qu’au président de la République. Et elle accorde un traitement plus important aux manifestations (témoignages, reportages…), qui représentent de grands événements à l’échelle locale.

« La presse régionale a tendance à surtraiter les débordements lors des manifestations »

Cependant, nous pointons une tendance de la presse régionale à surtraiter les débordements relatifs aux manifestations (feux de poubelle, dégradations…), et à sous-traiter les violences policières. Cela peut s’expliquer par le rapport complexe entretenu avec les sources policières locales, dont les journalistes peuvent dépendre pour recueillir des informations. En traitant ces violences comme des scènes anecdotiques, ces articles empêchent une clé de compréhension sur le système de maintien de l’ordre en France, dont la dimension systémique s’observe depuis les mouvements suscités par la « loi travail » en 2016. Le Parisien a la particularité d’être à la fois un titre de presse national et régional, avec plusieurs rédactions ancrées localement. 

C’est la même séquence politique qu'aujourd'hui : il y a une même rigidité du pouvoir, absence de dialogue, répression violente et une même radicalisation du mouvement en réponse. Le mouvement contre la réforme des retraites s’ancre dans la continuité de « nuit debout », des « gilets jaunes » et du premier mouvement contre cette réforme, en 2019. 

Avec une différence : le mouvement actuel rencontre un consensus général et durable de l’opinion publique, contrairement aux « gilets jaunes » par exemple qui ont été confrontés à une controverse plus importante. Même lorsqu’un titre de presse s’oppose au mouvement contre la réforme des retraites, il ne va pas aller à l’encontre du public qui, comme le montrent les sondages, est majoritairement contre également. La presse quotidienne régionale dispose d’un monopole sur sa localité, ce qui la pousse à s’adresser à tous, à être consensuelle. Tous ces éléments donnent un traitement médiatique globalement plus équilibré de janvier à fin mars, d’autant plus avec un discours efficace porté par des syndicalistes et des étudiants, plus difficile à disqualifier que celui des « gilets jaunes » aux revendications plus diffuses.

« On a compté près de 7 millions de tweets sur la réforme des retraites entre le 1er janvier et le 27 mars 2023 ! »

Vous avez aussi scruté ce qui était dit de ce projet de réforme sur plusieurs réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Reddit...). Qu'est-ce qui vous a frappé ?

En ligne, la défense de la réforme est très rare : ce sont souvent des militants de Renaissance [le parti de la majorité présidentielle, NDLR]. L’opinion sur les réseaux sociaux était plus divisée sur les « gilets jaunes ». La masse très importante de contenus produits par les internautes sur les retraites témoigne d’une une forte volonté de s’exprimer sur le sujet. Entre le 1er janvier et le 27 mars, il y a eu près de 7 millions de tweets là-dessus. Et sur la journée du recours au 49-3, le mot « retraite » était mentionné dans 250 000 tweets en 24h ! Cela montre une envie de se réapproprier « coûte que coûte » l'espace public, notamment quand le débat est arrêté par le gouvernement. Les citoyens s’en saisissent alors eux-mêmes via des arènes virtuelles : Facebook, Twitter, Reddit… Nous avons été frappés par la diversité du discours et la solidité de l’argumentation, notamment sur Reddit. Cela démontre la maturité du public, une éducation élevée du citoyen moyen qui s’empare de l’outil numérique quand l’institution politique ne prend pas en compte sa parole, ou disqualifie son discours à tort (« vous êtes mal informés sur la réforme, vous êtes manipulés… »). Sur Facebook, ce qui frappe est la réactivation des groupes des « gilets jaunes » à l’occasion du mouvement de contestation de la réforme des retraites. Fondés sur un ressentiment envers Emmanuel Macron, ces groupes ont connu une reprise d’activité forte en lien avec l’actualité.

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