Instaurer un dépôt légal audiovisuel communautaire dans le contexte du passage à la TNT
De nombreux pays d’Afrique voient disparaître un peu plus chaque jour l’histoire de leurs médias
L’absence de dispositif de dépôt légal audiovisuel dans les États de l’UEMOA y a installé une « amnésie » quasi totale de leur mémoire audiovisuelle. En effet, de trop nombreux pays d’Afrique voient disparaître un peu plus chaque jour l’histoire de leurs médias, sans réussir à endiguer le problème. Aussi, les huit États membres ont-ils senti la nécessité de recourir à l’unisson à l’instauration d’un dépôt légal audiovisuel communautaire et à en assurer la bonne mise en œuvre. Une « Étude portant élaboration d’un texte communautaire sur le dépôt légal audiovisuel », commanditée par l’Union en 2014, a permis de constater que, d’une part, la pratique du dépôt légal général fonctionne très mal dans ces pays. D’abord, parce que les législateurs africains de la sous-région ont, presque partout, reconduit les mêmes dispositions sur le dépôt légal que celles adoptées par l’ancienne puissance colonisatrice. En effet, la Côte d’Ivoire (décret n°62-28 instituant le régime du dépôt légal), le Mali (loi n°85-04/AN-RM du 11 janvier 1985 instituant le dépôt légal), le Sénégal (loi n°76-30 du 9 avril 1976 portant dépôt légal), ainsi que le Bénin et le Niger se sont contentés d’adopter dans leurs pays respectifs le décret colonial français n°46-1644 du 17 juillet 1946 fixant les conditions du dépôt légal dans les territoires relevant du ministère de la France d’Outre-mer.
D’autre part, le dépôt légal audiovisuel proprement dit n’existe, en fait, nulle part dans la sous-région ou quand il existe, est partiel et non effectif. Si les textes cités plus haut réfèrent au dépôt légal, c’est surtout pour ce qui concerne l’écrit (le livre) et l’imprimé (la presse). Quelques-uns des textes cités (Mali, Sénégal) parlent de dépôt légal, certes, mais visent plus les sons et la musique que le film et la vidéo, qui, à cette époque, étaient très peu répandus en Afrique. De plus, lesdits textes se préoccupaient beaucoup plus de réguler et contrôler l’écrit et la presse. Il faut ajouter à ces manquements l’absence totale d’accompagnements matériels, infrastructurels, financiers ou de personnels suffisants et compétents pour assurer le dépôt légal, tant pour l’écrit que pour l’imprimé et encore moins pour l’audiovisuel.
Cependant, le passage à la diffusion numérique sur le continent africain, étant donné que la TNT se fait à travers une homogénéité de la sphère de diffusion, pourrait représenter une opportunité certaine pour désigner un ou plusieurs organismes dépositaires du dépôt légal audiovisuel.
En effet, selon les dispositions de la Directive portant harmonisation du dépôt légal de l’audiovisuel au sein des États membres de l’UEMOA — rédigée par l’UEMOA fin 2014 avec le soutien actif de l’Ina, et en passe d’être entérinée par les ministres des différents États —, « chaque État membre prévoit la création d’un organisme exclusivement dédié à l’accomplissement des finalités du dépôt légal audiovisuel […], et présentant toutes les garanties statutaires, matérielles et financières requises à cet effet ».
En outre, la TNT permet désormais de capter et stocker l’ensemble des programmes audiovisuels de toutes les chaînes de télévision des États. Ceci signifie que l’ensemble de ce patrimoine peut être contrôlé, conservé et pérennisé ; ce qui, en fait, est l’objet même d’un dépôt légal. Dès lors, en saisissant cette opportunité nouvelle, l’organisme unique chargé d’assurer la télédiffusion numérique pourrait être désigné pour remplir le rôle de dépositaire du dépôt légal audiovisuel dans chacun des pays.
On connaît, depuis les années 1990, avec le souffle d’un certain vent de démocratie en Afrique, la naissance d’organes de régulation de l’audiovisuel. Mais, partout, ces organes de régulation, bien qu’ils visent généralement à protéger le patrimoine audiovisuel, se focalisent beaucoup plus sur le « politique » pour assurer l’accès aux médias d’État des partis et leaders de l’opposition et superviser les temps de parole des candidats aux élections
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Si le projet de dépôt légal régional mené par l’UEMOA a comme finalité principale la conservation et la mise en consultation du patrimoine audiovisuel des États membres de l’Union, la question de l’archivage professionnel et de la valorisation économique des nouvelles productions numériques est au cœur des préoccupations de nombreux pays africains hors UEMOA — comme en témoignent les nombreuses initiatives lancées ces dernières années par Madagascar (association Fl@h), le Cameroun (CAM-DTV / Cameroon Digital Television Project ), le Gabon (Aninf / Agence nationale des infrastructures numériques et des fréquences) ou encore la CÉDÉAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) pour mettre en place d’importants programmes de sauvegarde et de numérisation de leurs fonds d’archives audiovisuelles, avec le concours financier des pouvoirs publics.
Manifestement, les États africains montrent une conscience élevée pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine audiovisuel communautaire.