Des problèmes éthiques et juridiques dans un monde inédit
Bien entendu, certaines personnes ont déjà des relations affectives avec leur voiture ou leurs plantes vertes, mais les robots vont généraliser et accentuer ces attitudes, qui étaient jusqu'ici à la marge et ne concernaient qu'une fraction réduite de la population. Et ils le feront à la fois en demandant que nous nous occupions d’eux pour les faire évoluer, et en nous proposant leurs services pour nous aider à évoluer ! Autrement dit, ils nous proposeront ce que seuls des humains ont pu jusqu’ici proposer à d’autres humains : une relation symétrique et réciproque. Face à de tels risques de confusion, donner aux robots le statut de « personnalité électronique » — comme nous y incite un lobby d’avocats qui s’est fait le défenseur des supposés « droits des robots » — serait évidemment une catastrophe. Mais résister à cette funeste tentation ne suffit pas. Il faut aussi poser un cadre qui écarte tout risque de confusion. Car si nous admettons aujourd’hui qu’il est possible à un humain de parler avec une machine sans savoir qu’elle est une machine — par exemple lors d’un appel sur une hot line —, nous risquons bien d’admettre demain de la même façon d’interagir avec une hôtesse ou une vendeuse sans savoir s’il s’agit d’un automate ou d’un humain. Il ne s’agit pas de science-fiction.
Chacun a entendu prononcer le nom de
Watson. Pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, il s‘agit de l’Intelligence artificielle qui a gagné au Jeopardy! en 2006, ce jeu américain où il s’agit de trouver la question à une réponse qui vous est donnée. Watson est maintenant sollicité sur beaucoup de fronts. En France, il lit les mails des clients du Crédit Mutuel, les analyse, les classe selon le degré d’urgence, et propose des réponses aux employés. Ces réponses une fois validées par eux sont alors envoyées aux différents correspondants avec la signature de l’employé. On peut imaginer qu’un jour, un employé submergé et habitué à l’extrême qualité des mails rédigés par Watson les valide sans les lire… Mais Watson peut faire mieux encore : répondre aux clients en se faisant passer pour un être humain.
Il faudra encore longtemps pour que la machine soit l’égale de l’homme, mais elle est déjà largement capable de se faire passer pour lui…
Il faudra encore longtemps pour que la machine soit l’égale de l’homme, mais elle est déjà largement capable de se faire passer pour lui… Une telle situation serait extrêmement préoccupante dans la mesure où elle supposerait que nous devrions adopter les mêmes marques de respect et les mêmes formules de politesse tant dans la relation avec une machine qu’avec un humain, ce qui est loin d’être évident.
Enfin, la possibilité pour un humain de savoir à quel moment la voix à laquelle il est confronté est celle d’une machine ou d’un humain devra rapidement se doubler d’une autre tout aussi importante : qu’une machine interagissant comme un humain sache reconnaitre à quel moment elle a affaire à une machine ou à un humain ! Cette distinction devrait en effet permettre que les machines fassent passer la relation avec les humains en priorité, tout au moins si telle est la décision de leur programmeur. Et cela pourrait notamment passer par le fait que la voix des machines soit munie d’indices sonores non détectables par une oreille humaine, mais aussitôt identifiables par une machine sœur.
Nous allons devoir apprendre à interagir avec des objets comme avec des humains,
En conclusion, nous voyons qu’en dotant les machines de la capacité de comprendre notre voix, et de nous répondre avec des contenus et des intonations adaptées, l’être humain s’engage dans un monde inédit. Il va devoir apprendre à interagir avec des objets comme avec des humains, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’objets auxquels il serait dangereux de donner les mêmes droits qu’aux humains. Apprendrons-nous à nos enfants à respecter les règles de politesse habituelles entre humains lorsqu’ils parlent à un logiciel de traitement vocal comme Siri ?
Tout au long du XXe siècle, la psychologie s’est occupée à comprendre le fonctionnement psychique de l’homme malade, puis celle de l’homme bien portant, et enfin celle de l’homme en lien avec ses semblables avec le développement des approches systémiques et inter subjectives. Celle du XXIe siècle devra s’appliquer à comprendre la relation de l’homme avec ces nouveaux objets technologiques.
À lire également dans le dossier De la radio aux robots parlants, métamorphoses de la voix
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