Les réseaux sociaux en Afrique, entre information citoyenne et business

Les réseaux sociaux en Afrique, entre information citoyenne et business

Les réseaux sociaux se multiplient en Afrique, certains à visée purement économique, d'autres à visées politique ou humanitaire.
Temps de lecture : 9 min

La fièvre des médias sociaux s’est emparée de l’Afrique depuis environ cinq ans. Deux grandes tendances se dégagent : l’une orientée vers l’information citoyenne, les droits de l’homme et le développement économique et social où des initiatives se développent tous azimuts ; l’autre, à visée ouvertement commerciale, a rapidement réussi à attirer des capitaux.
 
En août 2010, Noël Tadegnon filme dans les rues de Lomé une altercation entre un confrère et un officier français qui tente de saisir son appareil photo. La vidéo fait le tour du monde via YouTube et est largement reproduite et commentée dans la presse internationale. À Paris, la hiérarchie militaire sanctionne l’officier, qui présente ses excuses au journaliste agressé.

Des citoyens kenyans défient la censure durant la vague de violences postélectorales de 2008 en informant en continu sur celles-ci, qui ont lieu aux quatre coins du pays. Ils créent alors Ushahidi, le premier blog humanitaire.
 
Le manque de démocratie, les atteintes aux droits de l’homme et les entraves à la liberté de la presse ont rendu plus flagrante encore en Afrique qu’ailleurs la nécessité des réseaux sociaux comme alternative aux médias traditionnels pour faire circuler une information trop souvent tronquée, censurée, orientée, voire inexistante. « L’Internet utilisé pour sonner la riposte au discours dominant véhiculé par les grands médias, joue désormais un rôle essentiel dans la circulation et le partage de l’information. Cette mobilisation à travers l’Internet est faite à tous les niveaux de la société et n’est pas seulement l’apanage des élites », constate le Sénégalais El Hadji Maky Idy Sall dans son travail de recherche consacré à L’appropriation sociale des technologies de l’information et de la communication par des acteurs ruraux et urbains : le cas du Sénégal, soutenu à l’université du Québec en 2009. Ces réseaux « alternatifs » cohabitent avec des réseaux plus traditionnels et plus ou moins calqués sur les modèles de leurs grands frères occidentaux.

Échanges de savoirs

Les blogs et réseaux sociaux ne se comptent plus en Afrique, tant il en naît chaque jour. Ils touchent des secteurs très divers : actualités, loisirs, commerce, santé, éducation, etc. Même les agriculteurs, traditionnellement en marge des avancées technologiques, sont concernés. En Afrique de l’ouest, l’application XAmmarsé, mise au point par la société sénégalaise Manobi, leur permet de se tenir informés sur leur téléphone portable, en temps réel, des prix auxquels se négocient les produits sur les marchés des grandes villes sénégalaises. Ces informations leur permettent ensuite de mieux vendre leur production. Avec TewMouTew (site de petites annonces), ils indiquent leurs offres et entrent en relation avec leurs clients potentiels. « Les TIC sont en train de prendre une place de choix comme outil de travail des paysans à côté des instruments traditionnels comme la houe et le daba (1) », commente El Hadji Maky Idy Sall. Les pêcheurs peuvent faire de même avec TM2 Plage, mais également obtenir la météo locale, envoyer des SMS de détresse ou être géolocalisés pour faciliter les secours en cas de problème en mer.
 
Les avancées sont particulièrement significatives dans le secteur de la médecine. Des programmes de coopération internationale ont aidé à la mise en place de services en ligne de télémédecine. Grâce à eux, des médecins africains se perfectionnent et se font assister à distance par des spécialistes internationaux. C’est le cas du réseau Raft (Réseau en Afrique francophone pour la télémédecine) financé par la coopération suisse, qui diffuse des sessions de formation continue chaque semaine depuis 2001 dans 18 pays d’Afrique. Raft apporte également une assistance au diagnostic et aux soins au moyen du logiciel de téléconsultation IPath. Développé par l’Université de Bâle, celui-ci permet à des communautés virtuelles de professionnels d'échanger des avis concernant des cas cliniques. L’Inde est également très présente dans ce secteur de la télémédecine avec son Réseau panafricain de services en ligne qu’elle finance à hauteur de 50 millions de dollars. En reliant par satellite des hôpitaux et facultés de médecine dans 53 pays membres de l’Union africaine (UA) à des centres de médecine indiens, ce réseau permet aux partenaires africains de bénéficier des formations et du savoir-faire indien en matière de santé.
 
Dans le domaine de l’enseignement supérieur, l’Université virtuelle africaine (UVA), est considérée à ce jour comme le plus grand réseau de formation ouverte et d’enseignement à distance du continent. Financée par la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Canada, elle est présente dans une trentaine de pays d’Afrique sub-saharienne et 40 000 étudiants ont déjà bénéficié de ses enseignements depuis sa création en 1997. Un autre programme important de télé-enseignement est celui initié par l’Unesco et la coopération espagnole. Lancé officiellement fin 2008, le Campus virtuel africain (CVA) concerne cinq pays d’Afrique de l’ouest (Bénin, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Sénégal) et prévoit de mettre en place un réseau commun de production de cours en ligne.
 
Moins formel et plus artisanal que les grands réseaux interuniversitaires, mais très efficace à sa façon, le blog Congoblog, créé en 2005 par le Congolais Cédric Kalonji, constitue un bon exemple d’initiative individuelle d’e-learning. Désigné « Meilleur blog francophone 2007 » par la radio publique allemande Deutsche Welle, Congoblog était, à l’origine, une chronique humoristique et engagée sur la vie quotidienne à Kinshasa. Son créateur l’a depuis transformée en une cyber-école de journalisme, sélectionnant et formant ses correspondants dans le cadre de ses études à l‘École supérieure de journalisme de Lille (ESJ).

Aujourd’hui, Congoblog « Ba Leki » (Ba Leki » veut dire « petits  frères » ou « petites sœurs » en Lingala, l’une des langues parlées en République démocratique du Congo) encadre huit jeunes « Ba Leki », sélectionnés dans les principales villes de la RDC. Cédric Kalonji partage avec eux une partie de son apprentissage à l’ESJ. Finalement, « ces huit jeunes font découvrir l’immense Congo en textes et en photos postés par la petite porte de leur vie quotidienne aux quatre coins du pays », explique Cédric Kalonji.

Des milliers de blogs comme celui-ci fonctionnent en Afrique. Pour se retrouver et échanger, leurs auteurs se rencontrent à l’occasion des barcamps qui se multiplient en Afrique, la plupart à l’initiative ou soutenus par Google, qui y trouve là un bon terrain de promotion de son nom. Le premier Barcamp Africa s’est tenu en octobre 2008 en Californie. Il s’est depuis répandu en Afrique : Nairobi, Antananarivo, Kampala, Dakar (deuxième édition les 4 et 5 décembre 2010), Abidjan... Dans ce paysage en pleine effervescence, trois grandes figures émergent : Zoopy, Afrigator et Ushahidi.

USHAHIDI, ZOOPY ET AFRIGATOR : TROIS RÉFÉRENCES INCONTOURNABLES

Avec Ushahidi, l’Afrique a donné aux organisations humanitaires une référence qui est en train d’essaimer dans les zones de tension. D’une situation de crise est né un concept totalement novateur. L’aventure d’Ushahidi a commencé durant les violents troubles ayant suivi les élections présidentielles au Kenya, début 2008. Pour relayer une information défaillante sur les évènements - car censurée par le gouvernement -, une avocate kenyane, Ory Okolloh, vivant en Afrique du sud s’est lancée dans la création d’un site Web qui permettait à chaque citoyen de signaler via des alertes SMS, MMS ou mail, les violences dont il était victime ou témoin. Ces informations étaient alors replacées sur une carte de Google Map, pour donner l’état des troubles en temps réel, dans toutes les régions du pays. Ushahidi, qui signifie « témoignage », est ainsi devenu, en quelques jours, la première source d’information sur les violences postélectorales pour les Kenyans de l’intérieur et de la diaspora. « La technologie est l’un des rares moyens qu’ont les jeunes Africains de contourner les carences du système qui font que le statu quo se perpétue. Elle abaisse les obstacles à l’accès pour tous ceux qui veulent participer et faire entendre leur voix », déclare au journal Afrique Renouveau, édité par les Nations unies, David Hersman, l’un des co-fondateurs d’Ushahidi pour qui le seul objectif du site était de « démocratiser l’information ».
 

Depuis, la plateforme Ushahidi a évolué et est devenue une référence dans le monde de l’action humanitaire. Ses trois principes de base sont : facile d’utilisation, accessible à tous et utilisable partout dans le monde. Elle a servi pour superviser les élections en Guinée, en Éthiopie, au Soudan, au Togo, en Inde, au Mexique et au Chili, pour suivre les conflits en République démocratique du Congo et à Gaza, les séismes et les inondations en Haïti et au Pakistan. Ushahidi est également à l’origine du logiciel libre Swiftriver qui permet de filtrer et de vérifier en temps réel le flux d’informations provenant de sources comme Twitter, SMS, MMS, email et flux RSS. Ushahidi a également été nommé « Meilleur blog de l’année 2010 » par la Deutsche Welle.
 
L’un des réseaux les plus populaires du continent en termes de fréquentation est le Sud-africain Zoopy. Celui-ci fonctionne sur le même modèle que You Tube et Flickr : donner à tous la possibilité de proposer ou de télécharger des photos, des vidéos ou des fichiers audio. Lancé en mars 2007 par un informaticien sud-africain, Jason Elk, Zoopy a rapidement suscité l’intérêt des milieux d’affaires, attirés par le potentiel commercial d’une fréquentation élevée. Neuf mois après sa création, le site a été sélectionné par Nokia pour devenir son partenaire commercial pour l’Afrique de l’ouest et australe. En juin 2008, Vodacom, leader de la téléphonie sud-africaine et filiale du numéro deux mondial de la téléphonie mobile, Vodafone, en est devenu actionnaire à 40 % avec l’objectif de porter sa participation à 79 %. Avec ses 40 millions de clients, dont 27 millions en Afrique du Sud, et le reste dans les pays voisins (Mozambique, Tanzanie, Lesotho, République démocratique du Congo, Botswana), Vodacom a réalisé un chiffre d’affaires de 58,5 milliards de rands (5,5 milliards d’euros) en 2009. Cet investissement lui permet d’intégrer le secteur du multimédia. De leur coté, les dirigeants de Zoopy ont reconnu que les investissements prévus pour soutenir la croissance de la start-up imposaient de s’allier avec un groupe financièrement puissant. Le choix s’est porté sur Vodacom en raison des possibilités offertes par une telle alliance de développer les activités de la plateforme dans le secteur de la téléphonie mobile.

Lancé en avril 2007, également en Afrique du sud, Afrigator est le plus important annuaire africain sur Internet. Il se définit comme un « agrégateur social et un annuaire pour les citoyens digitaux africains qui consomment et produisent du contenu ». Peu après son lancement, CNN’s Business 2.0 le désignait déjà comme « l’une des 31 sociétés à surveiller hors États-Unis » et le blog Read Write Web le définit comme « le meilleur des médias sociaux africains ». Six mois après son lancement, Afrigator référen&ccedilccedil;ait déjà 1 200 blogs et attirait 12 500 visiteurs par mois, selon le site sud-africain spécialisé Mybroadband. L’un de ses co-fondateurs, Justin Hartman, revendiquait une croissance de 25,5 % par mois. Ce dynamisme n’a pas tardé à attirer l’attention du groupe multinational de presse et de communication sud africain Naspers (2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009) qui en est devenu propriétaire en septembre 2008. Le site sud-africain bizzcommunity.com a justifié ce rachat par le fait qu’Afrigator « propose le meilleur contenu numérique que le continent africain puisse offrir : news, blog, podcasts, vidéos et photos ». Pour Justin Hartman, l’apport financier du groupe Naspers via sa filiale MIH a permis à l’entreprise d’accéder « à un niveau supérieur et même au-delà ». MIH Holdings est la branche médias électroniques de la multinationale sud-africaine et contrôle les activités de télévision payante et d’Internet. Présente en Afrique du Sud où elle réalise 72 % de son chiffre d’affaires, elle se développe depuis une dizaine d’années dans plusieurs pays en développement et émergents avec des acquisitions en Chine, en Inde, en Thaïlande, au Brésil et en Russie. La branche média papier de Naspers est quant à elle contrôlée par Media 24, le premier groupe de presse africain. Alors qu’aujourd’hui, Afrigator annonce toucher 1,8 million d’utilisateurs, ses fondateurs ont décidé, début 2010, de retrouver leur indépendance en rachetant les parts cédées à MIH quinze mois plus tôt.

DEUX GRANDS COURANTS

La rapide émergence des médias sociaux à laquelle on assiste aujourd’hui en Afrique n’est pas sans rappeler celle de la presse écrite et des radios qui a suivi la fin du monopartisme et du monopole de la presse en Afrique, au début des années 1990.
 
Dès à présent, on voit nettement se dessiner deux grands courants. Le premier est à visée purement commerciale. Ses réseaux ont rapidement réussi à attirer des capitaux pour assurer leur croissance, preuve que ce créneau est porteur et devrait le rester. Ses fonds proviennent essentiellement du secteur des télécoms sud-africains. En s’alliant avec les plus gros réseaux sociaux du continent, les opérateurs de téléphonie mobile trouvent l’opportunité de développer l’offre de produits et de services dans un contexte africain où le téléphone mobile est devenu le principal moyen d’accès à Internet.
 
La question se pose aujourd’hui de savoir si ce soutien des grands groupes sud-africains permettra à ces réseaux de résister à l’offensive des géants mondiaux que sont, entre autres, Facebook et YouTube. Selon des données collectées par Éric Bernard, directeur d’ak-dev (2), 26 % des utilisateurs d’Internet en Afrique de l’ouest utilisent Facebook. Mais la bataille n’est pas qu’économique. Elle est aussi très largement culturelle. Le maintien de sites africains aux cotés des grands sites occidentaux sera, dans les années à venir, une condition de plus en plus déterminante à la diffusion d’une identité culturelle africaine vivante. Les développements futurs dépendront du choix, et donc des envies, des consommateurs africains de se connecter ou non sur des sites à contenus culturels africains plutôt que sur les grands sites occidentaux. La mondialisation passe aussi par Internet.
 
L’autre grande tendance des médias sociaux est ainsi à visée beaucoup plus sociale. Le télé-enseignement et la télémédecine bénéficient d’un intérêt certain de la part des bailleurs de fonds qui trouvent là de nouveaux outils particulièrement efficaces et relativement peu coûteux pour répondre à ces deux défis majeurs que sont, pour le continent africain, la santé et l’éducation. Ils permettent de combler le manque d’enseignants et de médecins dont dispose le continent même si l’e-learning ne peut être envisagé que dans les zones couvertes par le haut débit, ce qui en limite pour le moment la portée. L’avenir de ces initiatives dépendra en grande partie de la pérennité de leurs financements par les organismes qui les ont initiés, à moins que les pays bénéficiaires aient la volonté politique de prendre le relais au vu des bénéfices de ces pratiques sur leur développement économique.
 
Enfin, la défense des droits de l’homme, la liberté d’expression ainsi que les urgences humanitaires font l’objet de très nombreuses initiatives en permanent renouvellement, sans oublier le besoin de la diaspora de mieux se connecter avec ce qui se passe sur le continent. Leur évolution reste largement imprévisible, car très dépendante des volontés individuelles et collectives d’utiliser Internet comme outil d’une information moins contrôlée.
 
Cette évolution générale se réalise dans un contexte où le nombre d’usagers de téléphonie mobile continue de progresser plus vite que partout dans le monde. Selon une étude du cabinet Ernst and Jung publiée en 2009, Africa Connected : a telecom growth story, celui-ci a été multiplié par cinq en cinq ans, passant de 52 millions en 2003 à 248 millions en 2008, soit une croissance de 49 % par an, contre 8 % pour l’Union européenne et, selon l’ONU, 350 millions d’Africains possédaient un téléphone portable en 2009.


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Crédits photos : logos et captures d'écrans Afrigator, Zoopy, Congoblog, Ushahidi.
(1)

Outils agricoles.    

(2)

Ak-Dev est un département de l’agence Web AK-Project, agence Web au service de projets et d’initiatives de développement autour des TIC en Afrique. 

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