Un des plus vastes secteurs public de l’audiovisuel dans le monde
Un vaste secteur public de l’audiovisuel internationalement reconnu pour sa qualité sur le modèle de la BBC. C’est le rêve parfois entendu de la bouche des politiques, journalistes, professionnels de l’audiovisuel. Dès 1990, l’Inde avait voté la mise en place d’un
organisme qui avait vu le jour – en phase avec la lenteur du calendrier indien – en 1997. Prasar Bharati prenait sous sa coupe les deux chaînes de télévision nationales, la chaîne internationale et les stations de radio alors existantes, et devait les gérer de manière autonome. Ses
objectifs étaient clairement définis : il devait promouvoir et maintenir l’unité et l’intégrité du pays dans le respect de la constitution, garantir le droit à une information « juste et mesurée» et
développer les sujets liés au développement tels que l’alphabétisation, l’hygiène, le droit des femmes et des enfants.
L’entreprise publique de l’audiovisuel fait désormais partie des plus grandes au monde. Elle chapeaute plus d’une vingtaine de chaînes de télévision, dont une chaîne généraliste, un chaîne d’actualité, une chaîne culturelle, une chaîne de sport, une chaîne dédiée au monde rural, deux chaînes parlementaires, une chaîne internationale et quinze chaînes en langues régionales – pour répondre à une autre de ses missions, « communiquer avec le peuple dans son propre langage ». Elle gère également quatre cent quatorze stations de radio qui diffusent
des émissions en vingt-quatre langages et cent quarante-six dialectes. Sa prétention, c’est l’exhaustivité : répondre aux besoins de divertissement, d’information et d’éducation de la population dans les zones les plus reculées, là où les spécificités locales et tribales et l’absence de pouvoir d’achat rendent les médias privés hors de propos.
Prasar Bharati emploie plus de 30 000 personnes, possède mille quatre cents transmetteurs et soixante-sept studios. Surtout, son emprise géographique est sans égale dans la péninsule : Doordarshan et Air couvrent respectivement 90 % et 99 % du territoire indien. Vingt-cinq millions de foyers ne reçoivent d’ailleurs que
la télévision publique, et le monopole est quasi total dans les zones rurales reculées. C’est pour ces zones que l’entreprise publique a d’ailleurs développé une offre numérique – alors que le signal analogique sera théoriquement interrompu sur la totalité du territoire indien à la fin 2016 – avec des décodeurs gratuits et sans abonnements proposant l’ensemble de l’offre du groupe Doordarshan.
Face à la concurrence des huit cents chaînes privées, les chaînes publiques se retrouvent en queue de l'audience
En dépit de ces atouts, l’entreprise, chroniquement déficitaire et dont
la dette a dû être effacée en 2012, semble perdre de sa pertinence dans le cadre
d’un paysage audiovisuel indien en expansion constante. Face à la concurrence de plus de huit cents chaînes privées, les chaînes publiques se retrouvent souvent
en queue des palmarès d’audience de leur catégorie. Disposant d’avantages captifs – les chaînes de son groupe sont diffusées gratuitement et obligatoirement par tous les opérateurs, elle détient le marché de la publicité des organismes publics et DD sport obtient automatiquement les droits de retransmission des grands événements sportifs –, elle est pourtant entravée dans son fonctionnement par son manque d’autonomie administrative et financière. Prasar Bharati n’a ainsi pas la charge du recrutement de ses 30 000 employés, tous fonctionnaires. Cela handicape l’entreprise lorsque le
choix des journalistes est fait en termes de connexions politiques ou familiales plutôt que de compétence professionnelle, un mal certes commun en Inde – puisqu’il s’applique même au recrutement des instituteurs dans les campagnes – mais qui complique les ambitions de professionnalisation du groupe, et la concurrence avec le privé. Elle
ne peut décider sans l’aval du ministère de la moindre réparation ou remplacement de matériel. De plus, 70 % de ses dépenses sont mobilisées par les services techniques et d’ingénierie, et c’est partiellement par manque de budget que les programmes de Doordarshan ont la réputation d’être ternes et soporifiques. Prasar Bharati est pourtant assise sur une mine d’or : un vaste patrimoine immobilier, souvent inutilisé mais qu’elle ne peut revendre, car
le transfert de propriété entre l’État et l’organisme public n’a jamais eu lieu.