À moins de trois semaines du premier tour, Spotify s’immisce dans le débat de la campagne et lance son premier podcast politique. Une série d’entretiens en dix épisodes baptisée « Président.iel » et centrée sur les questions LGBTQIA+ et la place des femmes dans la société. La plateforme suédoise a décidé de confier les rênes de ce podcast à deux jeunes entrepreneuses, Julia Layani et Élise Goldfarb, connues pour leur engagement sur ces sujets.
Pourquoi maintenant
Si la question du pouvoir d’achat demeure la préoccupation principale des Français, chez les plus jeunes, d’autres thématiques pèseront au moment d’aller glisser un bulletin dans l’urne le 10 avril prochain. Selon une enquête Ifop pour Spotify France, près de la moitié des 18-30 ans estiment que la question du droit des femmes et la lutte contre le sexisme comptera dans le choix qu’ils feront.
À en croire Claire Hazan, la directrice des activités podcasts de Spotify, c’est donc tout naturellement que le leader mondial de la musique en ligne a décidé de se lancer : « Nous ne voulions pas faire un énième podcast sur la présidentielle. Mais nous considérons qu’il est de notre rôle de porter des sujets qui sont ancrés dans la société et de le faire avec des voix qui parlent au grand public. » Ainsi est né Président.iel, avec Julia Layani et Élise Goldfarb aux manettes. Les deux jeunes femmes de 28 ans sont déjà à l’origine du podcast Coming out, également diffusé sur Spotify. « Elles ont la légitimité pour parler de ces sujets, une facilité de tchatche et elles savent délier les langues », leur reconnaît Claire Hazan. Si aucune des deux n’est journaliste politique — elles le disent d’ailleurs au début de chaque épisode —, Spotify a tenu à ajouter un module de fact-checking au podcast. Ainsi, juste après l’entretien, l’auditeur peut entendre la journaliste Margaux Baralon faire le point sur ce qui a été dit et mérite des éclaircissements ou des rectifications.
Un œil en coulisses
Comment deux jeunes femmes, politisées mais paradoxalement éloignées de la politique, allaient-elles vivre le fait de se retrouver confrontées à des candidats à la présidentielle, rompus à l’exercice de l’interview ? Spoiler : pas franchement bien.
« Je suis très déçue par ce qui ressort du podcast, cingle Élise Goldfarb. Oui, il y a des moments où ils parlent de choses fortes, où on sent leur honnêteté, mais ils n’ont pas pris la peine de réviser leur programme et j’ai ressenti beaucoup de je-m’en-foutisme. » Dans la même veine, Julia Layani ajoute : « Ils ont dû se dire que parler des femmes et des gays, c’était cool et que ce n’était pas la peine de se préparer. » Si elles assurent avoir vécu une « expérience de “ouf” », elles reconnaissent également avoir été, grâce à l’enregistrement de ce podcast, « témoins de la déconnexion des politiques et du peuple ». « On a le sentiment que c’est une élection pour des délégués de classe, qu’ils se battent pour un poste, pas pour aider les gens », tranche encore Julia Layani.
L’écoute de chacun des épisodes, d’une durée moyenne de quarante-sept minutes, se révèle pourtant intéressant pour qui se sent concerné. Élise Goldfarb et Julia Layani connaissent leur sujet, leurs questions sont concrètes et ancrées dans la vie réelle de celles et ceux dont elles se se font les porte-voix. Mais c’est peut-être la limite de l’exercice. Un président doit-il (et peut-il ?) avoir réponse à tout ? « En tant que femmes et LGBT, nous avons fait ce podcast de manière un peu égoïste, mais nous nous sommes rendu compte que la route est encore très longue », souffle le duo. Lors de son entretien, Philippe Poutou a apporté une parfaite illustration de ces attentes déçues. Interrogé sur ce qu’il ferait pour empêcher qu’un professeur discrimine des enfants en fonction de leur orientation sexuelle, le candidat du NPA a répondu que même s’il devenait président de la République, cela ne changerait pas grand-chose : « Combattre les discriminations [...], ça ne sera pas par la voie institutionnelle, ça ne peut changer que par des mouvements sociaux profonds, c’est dire qu’il faut qu’on fasse tous de la politique. »
Candidats multicartes
« Puisqu’il n’y a pas de débat, puisque les médias traitent très souvent la campagne avec une totale superficialité, heureusement qu’il y a ces groupes où l’on peut exposer notre projet. » Pour Nicolas Dupont-Aignan, qui fait partie des dix candidats à l’Élysée interrogés par Élise et Julia, pas de doute, un podcast comme Président.iel permet à chacun de faire connaître son projet en présentant ses propositions. Et si le président de Debout la France ! déclare être « assailli » par les questionnaires provenant d’organisations très diverses — il dit en avoir reçu au moins 150 depuis le début de la campagne — qui peuvent se révéler chronophages, il assure essayer de répondre à un maximum d’entre eux. « J’estime que c’est ce qu’on doit aux électeurs. »
Pas simple toutefois de faire face. Grand oral de la police, des sapeurs-pompiers, des chasseurs, des industries numériques, du Medef, de la santé, la liste est longue et loin d’être exhaustive. Ajoutez à cela les invitations des chaînes de télé, des radios, des émissions sur internet, de la presse écrite nationale, régionale et vous comprendrez comme il est difficile de mettre sur pied l’agenda d’un candidat à l’Élysée. « C’est le paradoxe de cette élection, soupire un cadre de l’équipe de Valérie Pécresse. Il n’y a jamais eu autant d’auditions, de formats, de questionnaires que lors de cette campagne, et aussi peu d’équité, avec d’un côté des candidats qui essaient d’en faire le plus possible et d’autres qui n’en font pas du tout et envoient des ministres à leur place, créant ainsi de la confusion. » Suivez son regard…
Comme une illustration, sur les douze candidats à l’Élysée, seuls Marine Le Pen et Emmanuel Macron n’ont pas participé au podcast Président.iel. La présidente du Rassemblement national a annulé son rendez-vous sans proposer de nouvelle date. Quant au refus du chef de l’État sortant, c’est peu dire qu’il laisse un goût amer à Élise Goldfarb et Julia Layani, qui rappellent qu’il avait fait des violences faites aux femmes une des grandes causes de son quinquennat.